#6 La polyvalence (2/2)
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Mise en situation. Années 60. L’âge d’or du plastique bat son plein. Les designers, industriels et ingénieurs du monde entier ne jure que par cela. Ce renouveau leur a donné du grain à moudre et a su nourrir leurs idéaux. Les plastiques ne se sont pas uniquement imposés par leurs caractéristiques techniques. Ils se sont pleinement intégrés aux nouveaux modes de vie d’après-guerre. Le monde bouge et se décentralise. Nous avons besoin de flexibilité à présent. Nous explorerons d’abord les nouvelles théories architecturales qui ont su se développer à travers lui. Jusqu’où pourra-t-il aller avant que ses dorures ne s’écaillent ? Les premières sonnettes d’alarme se font finalement entendre et ébranlent cette ascension. Ces moteurs et freins en lien avec les matières plastiques se révèlent comme un miroir de notre rapport avec cette matière.
Un nouveau terrain de jeu pour l’architecture
La frénésie du plastique va se répandre à tous les secteurs y compris celle de la construction. Les architectes sont enthousiastes à l’idée de contribuer à une nouvelle ère technologique du bâtiment.
« La puissance du machinisme permettra de créer de nouvelles harmonies si nous la dominons avec notre cœur et notre enthousiasme. »
- Chaneac, architecte (4)
Cet enthousiasme débordant se heurte néanmoins à des limites qui vont au-delà de l’aspect technique. Les secteurs de la plasturgie et de la construction ne se côtoient que très peu dans les années 60. Ce potentiel bafoué insupporte les architectes et autres professionnels du secteur qui voudrait l’encourager.
« Il faut déplorer l'extrême partage des responsabilités : l'un décide, l’autre conseille, le troisième paie, ce qui évidemment ne facilite pas les choses.
Il faut réformer en déconcentrant...
On doit, en outre, souhaiter à l'architecture de se dégager du conformisme où elle est actuellement enfermée. Il faut les libérer des contrôles multiples qui brident la liberté de l'architecture. Il faut laisser à la création architecturale, la possibilité de s'épanouir. Il ne faut pas que des contraintes excessives ne laissent le choix qu'entre un style d'architecture officielle dont la médiocrité est flagrante et le pastiche de l'ancien dont les opérations de rénovations donnent trop souvent l’exemple. »- Extraits d'un discours prononcé par M. Albin Chalandon, ministre de l'Équipement, à Tours, le 16/9/1968 (4)
Cette désolation ne fait cependant écho qu’au sort réservé à de nombreux matériaux précédents le plastique. Il sera d’abord utilisé pour palier les lacunes des matériaux traditionnels.
« Le premier stade d’utilisation d’un matériau nouveau est le remplacement à l’identique du matériau ancien dont l’usage et le coût ne sont plus compatibles avec les impératifs économiques et culturels de notre temps. (...) Il se passe toujours, lors de l’apparition d’un matériau nouveau, une période pendant laquelle ce matériau copie celui qui a précédé. Les temples grecs copièrent en pierre les temples en bois, le métal copiait la pierre, le béton a copié le métal et la pierre. Le plastique copie en général le bois mais aussi l’ardoise ou la tuile. (…) Le deuxième stade est celui de l’utilisation des matériaux pour leurs qualités spécifiques. »
- Benoît Jullien, architecte (3)
Le plastique est certes en plein essor mais moins installé que ces derniers. Il n’est pas un concurrent économique évident pour chaque mise en application. Certains de ses paramètres sont encore loin d’être concluants par rapport aux matériaux traditionnels. Sa résistance mécanique ou encore sa résistance au feu ne font pas le poids. Sans parler, des gazs nocifs que libèrent les composés plastiques lors de la combustion. À cette époque, les architectes s’évertuent de ne pas présenter le plastique comme une menace aux autres techniques mais bien comme un complément. De nombreuses applications émergent en ce sens.
Une des plus significatives dans l’effet de pastiche, nous vient de la Grande-Bretagne. Les évacuations des eaux de pluie, couramment faites en zinc, sont remplacées petit à petit par du polychlorure de vinyle (PVC). Ce matériau est certes plus cher que son concurrent traditionnel. Cependant, il demande une main d’œuvre moins qualifiée pour être installé. Les assemblages sont plus simples. Ils demandent moins de temps donc moins d’argent. Ainsi, le prix total entre les deux options sont sensiblement équivalentes à cette période. Les grilles de ventilation, autrefois en tôle, avaient tendance à rouiller. Remplacées d’abord par de la fonte, le plastique s’imposera par une meilleure qualité esthétique. En tant que revêtement de sol, les matériaux polymères sont très largement utilisés dans le cadre des immeubles collectifs. Dans l’industrie, les sols en résine polyester, époxy et polyuréthane sont monnaie courante. Les installations sanitaires font également partie de ces nouvelles applications. Nous reviendrons sur ce sujet par la suite. Quant à l’isolation, le polyuréthane présente le coefficient de conductibilité le plus bas, à cette époque. Cependant, il est très peu courant comparé aux laines de verre et minérale, qui représente 70% du marché dans les années 60 (4). D’autre part, nous dénombrons déjà des films protecteurs utilisés pour le terrassement ou dans la mise en application des travaux de second œuvre. Les mortiers et béton peuvent eux-mêmes avoir recours à des éléments polymères en tant qu’adjuvants et éviter l’effet du gel, augmenter la cohésion du mortier et donc les propriétés mécaniques, ou encore augmenter l’adhérence au support. Cependant, une des coopérations les plus significatives des matériaux polymères se traduira dans le cadre du gros œuvre.
En effet, des coffrages nouvelle génération permettent de façonner les éléments structurels en des formes courbes, qui étaient difficilement atteignables jusqu’alors avec les coffrages en bois ou métal. « On faisait par exemple, des structures linéaires parce qu’on n’avait que des profilés bois ou métal linéaires. Dès que vous faisiez un poteau qui n’était pas rectangulaire, il coûtait une fortune, même si du point de vue résistance, il se justifiait. » - Kunvari, architecte (4). Le bâtiment Marina city de Bertrand Goldberg (1964), surnommé le « corn cob building » (le bâtiment en épi de maïs) est un des premiers exemples mondiaux de cette technique. Des coffrages en moule de polyester, renforcé de fibres de verre, sont réutilisés des dizaines de fois pour former le gratte-ciel. « On estime que 300 tonnes de résines polyester ont été utilisées en 1966, aux États-Unis, dans des moules à béton. » (4).
Marina city de Bertrand Goldberg (1964) - © B. Goldberg / Façade de la tour Aquitaine de Luc Arsène-Henry, Bernard Schoeller et Xavier Arsène-Henry (1967) (4)
Ces moules offrent également la possibilité d’une nouvelle esthétique, en donnant une texture au béton. Un béton matricé peut imiter l’ancien (calepinage des briques) comme prétendre au nouveau, en créant un motif inédit. Dans le cas de la Tour Aquitaine, aujourd’hui nommée Tour Blanche, un motif géométrique orne la façade dans toute sa longueur. Située à la Défense, elle est construite en 1967, par Luc Arsène-Henry, Bernard Schoeller et Xavier Arsène-Henry. « Les éléments pleins de façade sont des pilastres en béton blanc coulés dans des coffrages en résine epoxy armée de fibre de verre. Les pilastres sont ainsi animés par des jeux de facettes en losanges et triangles imprimés en creux. » (4).
De nouvelles formes architecturales qui vont faire naître un imaginaire intarissable chez les concepteurs et nourrir des aspirations plus ambitieuses. À l’aune du nouveau millénaire, les architectes s’interrogent sur le monde de demain. Le monde des années 60 est riche de nouveautés dans tous les domaines. Ainsi, cela se retranscrit dans les modes de vie qui se détachent de ceux connus jusqu’à présent. Des paramètres tels que l’« accroissement de la longévité, l’allongement du temps de vie active, la diminution du travail effectif, ont une incidence sur l’évolution des techniques et de leurs applications. » (4). Jean Manneval fait partie de ceux qui veulent penser l’habitat dans ce monde devenu global et aux circulations fluides. Ces courants de pensée seront mondiaux. Nous retrouvons la Team X du côté des États-Unis ou encore Archigram en Grande-Bretagne. Leurs idées sont très décomplexées et prospectives. La plupart ne seront que de papier tant elles seront davantage utopistes que réalistes. Elles auront également pour ambition de remettre en question les théories architecturales développées avant eux. L’échec des barres d’immeubles, vouées à répondre à la crise du logement, donnera matière à réfléchir. Des projets de requalification de ces bâtiments seront formulés à l’époque. À travers sa théorie d’« architecture insurrectionnelle », Chaneac propose d’utiliser des « cellules-parasites », des « cellules-ventouses » pour agrandir les appartements, en répondant à une « urbanisation sclérosante » (4).
En effet, cette massification du logement leur paraît comme la mauvaise approche. Ils ne remettent pas tant en question le mode de production de ces logements, mais plutôt leurs interactions, liaisons. Un bloc massif paraît hors d’échelle. Il convient mieux de penser en termes de réseau. Ainsi, la Team X va développer le concept de cluster. Les circulations sont pensées de manière globale. Elles se doivent d’irriguer un réseau de fonctions. L’architecture n’est plus un objet unique isolé mais davantage un maillon. Certains parlent d’architecture organique où des cellules de base avec des fonctions fixes et complexes (sanitaires, cuisines…) sont associées et multipliées afin de répondre aux besoins. Bien que l’on peut se discuter le fait que la multiplication de mêmes éléments peut créer des espaces réellement différents, ces logements sont qualifiés de « non-standardisés » (4). Cette pensée fera émerger une nouvelle architecturale, dites d’habitacle. On la retrouve sous différentes formes à travers le monde : Haus-Rucker & co (Autriche), Metabolism (Japon) ou encore Archigram (Angleterre). Ces visions contribuent toutes à une nouvelle image de la ville, souhaitant s’adapter à de nouveaux styles de vie.
Nakagin Capsule Tower de Kisho Kurokawa (Japon - 1972) - © archeyes.com / Oasis n.7 de Haus Rucker Co. (Allemagne - 1972) - © grupa o.k. / A. et P. Smithson, « The City », 1952. © Smithson Familly Collection / Kenzo Tange, Hôtel pour l’exposition d’Osaka, 1970.
L’architecture d’habitacle
Nous avons évoqué le fait que le logement devenait un produit, de première nécessité certes, mais bel et bien un produit. Le cas de la salle de bain se révèle comme un cas d’école pour une application modulaire. On retrouve l’élaboration de blocs sanitaires en préfabriqué. Ils sont acheminés sur chantier puis raccordés. Comme un jeu de Lego.
Le plastique propose un avantage dans la fabrication de ces cellules. Ils peuvent être formés d’une seule pièce homogène. En utilisant un seul matériau, on évite les éventuelles approximations dans la mise en œuvre des jointures de différents matériaux. Dans le cadre d’une salle de bain, la jonction entre baignoire et carreaux de céramique est garantie par un mastic. Ce dernier doit être changé régulièrement. Cet entretien implique un coût et un savoir-faire. Alors que si tous les éléments sont fusionnés par un seul et même matériau, toutes ces éventuelles anomalies n’existent plus.
« Comme éléments de construction, je voudrais citer, par exemple, une salle de bains entièrement en plastique, des façades en plastique... Dans de tels éléments, nous recherchons, non pas l’utilisation des plastiques à tout prix, mais des matériaux relativement homogènes qui permettent de satisfaire aux fonctions qui leur sont demandées - ce que nous ne trouvons pas avec les matériaux traditionnels. Avec ces derniers, nous sommes obligés de juxtaposer des matériaux différents fort nombreux et par ce fait même de créer des doubles emplois (par exemple, structure et étanchéité pour lesquelles on emploie deux matériaux différents). Ceci entraîne un coût de main d’œuvre assez considérable, et limite très rapidement les possibilités d’industrialisation. »
- M. Kunvari, ingénieur OTH (4)
Permettons-nous une petite digression en nous attardant sur cette citation. Cette dernière a beau dater de 1969, elle semble encore résonner aujourd’hui. Les murs de nos bâtiments actuels se retrouvent comme des mille-feuilles de matériaux : enduit, armature, pare-pluie, isolant, structure porteuse, pare-vapeur, finition… Les matériaux se spécialisent invariablement pour offrir le meilleur de leur capacité. Néanmoins, ces techniques impliquent une plus grande marge d’erreur et d’éléments à trier en vue de leur fin de vie. Il est donc intéressant de noter que le plastique s’est d’abord annoncé comme un élément indépendant et émancipé. Par précaution, il a davantage été intronisé en soutien des savoir-faire existant. De nombreuses expérimentations ont bien cherché à affirmer une place émancipée. Il s’est néanmoins installé en tant que support et non acteur de la construction. Une place qu’il occupe encore aujourd’hui.
Jean Manneval fait partie de ceux qui ont tenté de démontrer ce potentiel constructif. Il veut créer une maison habitable en plastique. Cependant, le public n’est pas des plus réceptifs. Le fait d’envisager sa résidence principale comme une bicoque en plastique n’enchante pas tout le monde. Il ne se démonte pas. Si ce n’est pas les résidences principales, ce sera les secondaires. La société des loisirs bat son plein. Le soleil est au beau fixe dans les villages de vacances. Que ce soit à la mer comme à la montagne, on se rue vers la détente. En 1967, une société l’engage pour concevoir du futur village de vacances de ces employés, situé à Gripp, dans les Hautes-Pyrénées. Cet ensemble doit accueillir 60 personnes. Ces habitations sont nommées Bulles 6 coques, en référence à leur méthode de construction. Tout commence par un socle en béton sur lequel on place une structure métallique. Les fondations sont optimisées pour réduire son coût et faciliter son adaptation à des terrains accidentés, montagnards par exemple. Les coques autoportantes, composées d’une structure sandwich de 10 cm (polyester + mousse polyuréthane + polystyrène), sont assemblées. Dans l’aménagement intérieur, chaque coque est pensée pour accueillir une fonction : sanitaire, repos, salon, suite parentale, lits superposés. Les dimensions des éléments constructifs sont adaptées au gabarit de transport routier. Les critiques émises au sujet de cette première expérimentation in-situ sont d’abord par rapport au poids des éléments. Ils ne peuvent être manuportés et nécessitent une aide mécanique. Sur le plan social, les habitants semblent s’adapter à ce nouveau mode de vie, bien qu’ils émettent des réserves sur l’esthétique. Ce genre nouveau s’acclimate difficilement aux paysages et habitations existantes.
Ce type de projet est également encouragé par les pouvoirs publics. Dans le cadre de la santé publique et de la promotion du sport, le gouvernement français a pour ambition de construire massivement des piscines à travers le pays. Bernard Schoeller remporte le concours avec son projet de Piscine Tournesol. Pour répondre à un cahier des charges strict en termes de budget et de temps, il fait bien entendu le choix de la préfabrication. Des arches, constitués de métal et plastique, forment un dôme. Ce dernier a la possibilité de s’ouvrir en partie, afin d’offrir le soleil estival aux nageurs. Il est intéressant de noter que le plastique répond aussi bien à un cahier des charges de logement individuel que pour l’accueil d’un large public, à travers ces deux exemples.
Cette conception d’habitacle bafoue certains éléments architectonique. Il n’y a pas de différence entre toit et façade. Un seul et même matériau constitue la couverture. La Futuro house du finlandais Matti Suuronen démontre une fois de plus que l’assemblage de coques auto-portantes constitue une nouvelle solution constructive. 16 sections, de matériau sandwich en polyester et polyuréthane, sont assemblées et reposent sur une structure en acier (4). Il forme ainsi un élément continu.
Vue extérieure et intérieure de la Futuro House de Matti Suuronen (1968) - © Chris Snook / © en.docomomo.fi
L’architecture textile
La construction de bâtiments destinés à recevoir du public demande des besoins différents que le logement individuel. On a besoin de place, énormément de place. Ainsi, une bâche textile offre l’avantage d’être tendue à ces extrémités et de garantir une large surface libre couverte. Cette large envergure permet en effet de réduire le nombre de points d’appui de la structure porteuse, pour ne pas entraver les usages. Un poteau au milieu d’une salle polyvalente n’est pas souhaitable. Cette innovation a d’abord été apportée par le béton précontraint d’Eugène Freyssinet, au début du XXème siècle. Les câbles noyés dans le béton sont tendus. Cela permet aux éléments horizontaux d’atteindre des longueurs plus conséquentes qu’habituellement. Néanmoins, ce procédé demande de grands moyens et une quantité significative de matière. Ainsi, des décennies plus tard, le plastique apporte une nouvelle contribution à ce cahier des charges particulier. Avec une utilisation minimale de matière, on atteint une rigidité et une résistance à la charge maximale. Cette extrême minceur de la construction engendre un bouleversement de l’image architecturale du bâtiment. Le mur semble révolu. On parle de peau. La paroi n’est plus massive mais nébuleuse. Autrefois, la façade remplissait la fonction porteuse. Elle se retrouve ici à délimiter un espace. Les éléments constructifs se scindent et se spécialisent peu à peu.
L’architecture textile puise son inspiration dans la nature et la biodiversité. L’architecte Frei Otto prend exemple sur les diatomées (des ensembles de cellules vivantes présentes dans les milieux marins), les toiles d'araignées ou encore les bulles de savon. La filiation paraît évidente lorsqu’on observe le stade olympique de Munich, conçu pour les Jeux olympiques d'été de 1972. Une toile pensée comme une « protection sur le paysage en laissant passer le plus de lumière possible » (2). Une approche similaire est développée par Buckminster Fuller, qui s’inspire d’un œil de mouche. En s’appuyant sur le principe du dôme géodésique, il conçoit le pavillon des États-Unis pour l'Exposition universelle de 1967. Ces structures légères impressionnent à cette époque. Elles ne ressemblent à rien de ce que l’on connaît jusqu’alors.
Carte postale du pavillon américain de Buckminster Fuller pour l’Exposition universelle de 1967 (Montréal, Canada) - © expo 67 / Vue extérieure du stade olympique de Frei Otto (Munich, Allemagne - 1972) © Evonik Industries AG, Konzernarchiv Hanau
L’architecture gonflable
Plus marginale que les autres approches citées jusqu’ici, on retrouve l’architecture gonflable. D’abord appliquée à des expérimentations de petite échelle comme le mobilier, de nombreux concepteurs conçoivent des séries de fauteuil (Blow de P. Lomazzi, D. D’Urbino et J. De Pas). Le collectif Aérolande avec Jean Aubert propose son modèle avec Tore, en 1968. Alors qu’un des autres membres, en la personne de Jean-Paul Jungman fera de nombreuses études et expositions au sujet de son application pour le bâtiment. Une légèreté et un temps de mis en œuvre record pour le domaine de la construction. Ce système se pliera particulièrement bien aux exigences des installations éphémères. Ce qui justifie sa présence récurrente dans des salons internationaux, comme l’exposition universelle d’Osaka, en 1970. Le pavillon du groupe Fuji, sous la direction de l’architecte japonais Yukata Murata, sera un des premiers jalons de cette expertise. L’engouement pour cette architecture événementiel fait encore partie d’un paysage architectural plus proche du notre, comme le démontre la contribution de l’agence OMA, à Londres, en 2006. Son interprétation de la Serpentine gallery consiste en un dôme immaculé. Une sphère en PVC est insufflée d’hélium et trône sur une salle délimité par des panneaux de polycarbonate (1). Tantôt élevée dans les airs ou repliée, la bulle s’adapte aux besoins indiqués par la météo et les usages de la salle.
Nous avons bien saisi que son champ d’application est le plus souvent limité dans le temps. Néanmoins, Hans-Walter Müller, un des plus grands contributeurs de cette technique, vit dans une maison bulle depuis près de 40 ans. La vidéo suivante explique son parcours et son mode de vie.
Des critiques à l’utopie architecturale
Toutes ces ambitions ne vont pas sans leur lot de critiques. La systématisation de conception particulièrement formulée par l’architecture d’habitacle est perçue comme une commercialisation de l’acte d’habiter. À une période où tout est sujet à devenir un produit, le logement ne fait pas partie des exceptions. Une logique économique où le produit se doit d’être facilement remplaçable en fin de vie. D’une part, on optimise le temps du consommateur en lui offrant une solution de rechange, au détriment d’une logique de réparation, tout en garantissant un rendement économique à l’industrie.
Le collectif Superstudio pousse la mise en abîme à la dérision. Ils esquissent des collages du « Monument continu » en 1969. Un bâtiment homogène et radical semble parcourir des kilomètres. Ayant l’ambition de faire le tour du monde, cet exercice d’esprit traverse des paysages urbains ou bien désertiques. Il tranche totalement dans tous ces environnements. Visant à surprendre par l’absurdité d’un tel projet, le collectif cherche à dénoncer l’uniformisation de la construction. On ne peut standardiser à l’échelle mondiale le bâti, étant donné qu’il doit répondre à une infinité de climats, usages, cultures et sociétés. Une de leur réalisation phare se matérialisera également par une exposition manifeste, nommée Superarchitectura à la Jolly 2 Gallery de Pistoie, en Toscane, en 1966. Une critique unanime de la surproduction et surconsommation à l’échelle mondiale. Ces cris d’alertes ne se résument pas au domaine circonscrit de l’architecture.
Collages réalisés par Superstudio, «Le monument continu» (1969) - © cnap.fr - © moma.org
Des sonnettes d’alarmes
En parallèle de ce foisonnement d’idées, d’autres émergent. Des mouvements aux revendications écologistes haussent le ton, notamment à l’occasion de mai 68. Peu pris au sérieux, ces discours sont tournés en dérision rapidement. Sans doute, car ses conséquences sont encore trop peu visibles aux yeux du grand public. Des alertes internationales majeures telles que le Premier sommet de la Terre et la publication du rapport Meadows sont des repères fondateurs de cette prise de conscience environnementale. Peu de temps après, le plastique sera attaqué directement par les crises pétrolières de 1973 et 1979. Étonnamment, cela ne causera aucun ralentissement de production. Le changement prendra place dans la structure du domaine de la pétrochimie pour commencer. Les chimistes s’impliquent davantage en amont comme en aval de la chaîne de production pour garantir une meilleure efficacité. Des gisements jusqu’ici non exploités, car difficile d’accès, sont envisagés pour répondre à la demande. Certains pays industrialisés (Suède, Norvège, Grande-Bretagne, Canada..) vont donc commencer à extraire l’or noir. D’autres pays en profitent pour s’affirmer en prenant en main leur propre industrie pétrolière, comme l’Arabie Saoudite (3). En somme, la leçon tirée ne sera que de nouveaux acteurs et ressources et non une prise de position pour l’écologie, comme certains l’aurait souhaité.
En somme, le plastique n’a pas connu un essor aussi fulgurant par lui seul. Le choix de son utilisation a été fait en lien avec de nombreux arguments politiques, économiques, industriels, artistiques… C’est en cela qu’il a su se développer. Aujourd’hui, de nouvelles matières premières durables cherchent à s’offrir une place à ses côtés, afin de le destituer. Ces dernières devront faire appel aux mêmes leviers pour s’imposer.
© Anna Roberts
Sources
(1) Faircloth B. (2015). Plastics now: on architecture's relationship to a continuously emerging material. Routledge, Taylor & Francis Group.
(2) Decelle P., Hennebert D., Jaumotte A., Loze P. (1994) L’utopie du tout plastique. Norma éd.
(3) Namur G., Cité des Sciences et de l'Industrie de la Villette (1986). Les années plastiques. Editions Alternatives.
(4) Audouin J. (1969). Numéro hors-série de la revue Plastiques bâtiment. Plastiques et architectures. Éditions G.M. Perrin.